La transmission d’un lot au sein d’une copropriété
Publié le 20 Juin 2025
Les obligations incombant lors de la transmission d’un lot (C.civ., art. 3.94)
Lors de la transmission d’un lot au sein d’une copropriété (l’exemple le plus courant étant la vente), la loi impose au titulaire des droits transmis (exemple : le vendeur) et/ou aux intervenants (exemple : agents immobiliers) certaines obligations au bénéfice du propriétaire entrant (exemple : l’acquéreur). Ces obligations sont contenues à l’article 3.94 du Code civil.
Le contenu et les modalités des obligations dépendent de la phase du processus de cession dans laquelle se trouvent les parties.
La présente contribution n’a pas pour objet de développer les contours de cette disposition, mais de constituer un guide à destination des praticiens pour décoder les termes, parfois ambigus, de la loi.
Au stade précontractuel (C.civ., art. 3.94, §1)
ACTE JURIDIQUE ENTRE VIFS - NOTION
L’acte juridique entre vifs est défini de la manière suivante : une manifestation de volonté par laquelle une ou plusieurs personnes ont l’intention de faire naître des effets de droit.
Sont, notamment, des actes juridiques entre vifs : la vente, l’échange, le partage, etc., en opposition à un transfert de droit pour cause de décès.
Il importe de bien distinguer l’acte juridique en lui-même de son support physique (exemple : un acte notarié, un compromis, etc.). En effet, un acte juridique pourra être considéré comme valable par la seule expression de volonté (par exemple, la vente est valable par le seul échange de consentement quant aux éléments essentiels et substantiels), sans pour autant qu’il y ait de support physique.
Les actes juridiques peuvent, notamment, être classés en
trois « catégories » :
Premièrement, l’acte juridique translatif est un acte juridique ayant pour effet de transmettre un droit (en l’occurrence un droit réel immobilier) d’une ou plusieurs personnes vers une ou plusieurs autres personnes (ex : contrat de vente, de donation, de cession d’emphytéose, etc.).
Deuxièmement, l’acte juridique déclaratif est un acte juridique ayant pour effet de constater ou de reconnaitre une situation juridique préexistante. Un tel acte produit des conséquences juridiques avec effet rétroactif (ex : dans un partage entre indivisaires, celui qui récupère le bien est considéré comme en ayant eu la disposition depuis le début de l’indivision).
Troisièmement, l’acte juridique constitutif est un acte juridique ayant pour effet de constituer un droit réel sur un bien. Il est ainsi possible de constituer un droit réel d’usage sur un bien immeuble (usufruit, emphytéose, superficie ou servitude), on parle alors de démembrement de la propriété. Cette hypothèse est rencontrée ci-après, mais, à des fins didactiques (étant un type d’acte juridique), est défini dès à présent.
CONTENU DE L’INFORMATION
Le copropriétaire sortant et/ou les intermédiaires (notaire, agent immobilier, etc.) intervenants dans le processus de conclusion de l’acte juridique entre vifs (cf. supra. sur cette notion) sont tenus de transmettre certaines informations aux potentiels parties à l’acte (ex : potentiels acquéreurs).
- FONDS DE L’ASSOCIATION DES COPROPRIÉTAIRES
Deux comptes bancaires distincts doivent être ouverts et immatriculés au nom de la copropriété, l’un pour le fonds de roulement, l’autre pour le fonds de réserve.
D’une part, le fonds de roulement, c’est-à-dire la somme des avances faites par les copropriétaires, à titre de provision, pour couvrir les dépenses périodiques telles que les frais de chauffage et d’éclairage des parties communes, les frais de gérance et de conciergerie (définition prévue à l’article 3.86, §3, al.2, C.civ.).
D’autre part, le fonds de réserve, c’est-à-dire la somme des apports de fonds périodiques destinés à faire face à des dépenses non périodiques, telles que celles occasionnées par le renouvellement du système de chauffage, la réparation ou le renouvellement d'un ascenseur ou la pose d'une nouvelle chape de toiture (définition prévue à l’article 3.86, §3, al.3, C.civ.)
- CRÉANCES DE LA COPROPRIÉTÉ À L’ÉGARD DU PROPRIÉTAIRE SORTANT
Le législateur a prévu une obligation d’information au profit du (co-)propriétaire entrant quant aux arriérés, soit des sommes appelées (cf. supra. n°9) à titre de charges (cf. infra. n°23) par le syndic, pour compte de la copropriété, étant demeurées impayées, imputables au copropriétaire sortant.
Dans ce contexte, le syndic doit également communiquer un état des frais de récupération judiciaires ou extrajudiciaires exposés pour recouvrer ces arriérés, soit les montants nécessaires afin de récupérer les sommes en souffrance, par voie amiable et/ou judiciaire (frais et honoraires d’avocat et d’huissier).
Les frais rendus nécessaires pour la transmission des informations prescrites par la présente disposition constituent également une créance à charge du propriétaire sortant. - LA SITUATION DES APPELS DE FONDS, DESTINÉS AU FONDS DE RÉSERVE ET DÉCIDÉS AVANT LA DATE CERTAINE DU TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ
Les appels de fonds recouvrent toutes les sommes appelées, périodiquement ou non, par le syndic afin d’assurer le paiement des charges, ordinaires ou extraordinaires, de la copropriété (énergies, syndic, eau, etc.).
Un acte acquiert date certaine, c’est-à-dire une date devenue incontestable par les tiers, dans diverses hypothèses (C.civ., art. 8.22) :
- Par suite de son enregistrement auprès du Bureau de sécurité juridique ;
- Par sa retranscription dans un acte reçu par un officier public ;
- Au jour du décès de l’une des parties.
- LE RELEVÉ DES PROCÉDURES JUDICIAIRES EN COURS
Il est également imposé d’assurer l’information des procédures judiciaires en cours, introduites par ou contre l’association des copropriétaires (donc, en ce compris les procédures contre le copropriétaire sortant).
Il est ici renvoyé aux procédures introduites devant une juridiction afin que cette dernière statue sur une ou des prétention(s) lui étant soumise(s).
A ce titre, les démarches préalables (ex : mise en demeure d’un copropriétaire en défaut de paiement) ainsi que procédures amiables (ex : transaction) n’entrent pas dans le champ de cette définition. - LES PROCÈS-VERBAUX D’ASSEMBLÉE GÉNÉRALES DES TROIS DERNIÈRES ANNÉES ET LES DÉCOMPTES PÉRIODIQUES DE CHARGES
Permettant de suivre le fonctionnement de la copropriété, la loi impose la transmission des trois derniers procès-verbaux d’assemblée générale, soit les comptes rendus de résolutions adoptées par les copropriétaires réunis, selon des formes prescrites par la loi et/ou les statuts, pour compte de l’association des copropriétaires.
Afin d’assurer la parfaite connaissance du (co-)propriétaire entrant, doivent également être transmis les décomptes périodiques de charges, c’est-à-dire, le document comptable reprenant, de manière régulière (par exemple à échéance trimestrielle ou annuelle) le détail des dépenses engagées pour l’association des copropriétaires sur une période donnée.
Il revêt un caractère individuel lorsqu’il reprend la part incombant à un copropriétaire en particulier, selon ses quotes-parts dans les parties communes. - LE DERNIER BILAN APPROUVÉ PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Enfin, avant de s’engager, le bénéficiaire de ces informations doit pouvoir se représenter au mieux la situation patrimoniale (active et passive) de l’association des copropriétaires et, partant, il lui est donné accès au dernier bilan approuvé par l’assemblée générale, soit la photographie de la situation comptable à une date donnée.
Au stade de l’acte authentique ou en cas de transfert pour cause de décès (C.civ., art. 3.94, §2)
Outre les informations ci-dessus devant, le cas échéant, être actualisées, le notaire instrumentant doit s’assurer de transmettre des informations complémentaires lors de la passation de l’acte authentique, constatant l’acte juridique intervenu entre les parties.
L’ensemble de ces informations (celles prévues au §1 et au §2 de l’article 3.94 C.civ.) doivent également être transmises par le notaire lors de la réception de l’acte prescrit par la loi constatant le transfert pour cause de décès (ou « transfert pour cause de mort »), c’est-à-dire, de la transmission d’un droit, par suite du décès de son titulaire, à son (ses) héritier(s) et/ou de son(ses) légataire(s).
- LES DÉPENSES DÉCIDÉES PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE POUR LA CONSERVATION, L’ENTRETIEN, LA RÉPARATION OU LA RÉFECTION
Il est renvoyé ci-avant quant à la notion de date certaine.
Force est de constater que cette disposition est rédigée dans des termes, toutefois, peu aisés ; le législateur vise par exemple la situation dans laquelle une décision d’assemblée générale, tenue le 10 janvier 2024, est adoptée au sujet de travaux de réparation d’une partie commune pour une somme globale de 20.000 € via 4 appels de fonds trimestriels. En cas de vente courant de l’année 2024, par exemple le 25 février 2024, cette décision devra faire l’objet d’une information à l’acquéreur. - UN ÉTAT DES APPELS DE FONDS APPROUVÉS PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ET LES TRAVAUX URGENTS
Quant aux appels de fonds, il est renvoyé ci-avant. - UN ÉTAT DES FRAIS LIÉS À L’ACQUISITION DES PARTIES COMMUNES
- UN ÉTAT DES DETTES CERTAINES DUES PAR L’ASSOCIATION DES COPROPRIÉTAIRES À LA SUITE DE LITIGE
Il est ici visé, formulé différemment, les conséquences économiques devant être supportées par la copropriété à l’issue d’une procédure judiciaire.
Situation après la transmission des droits
Par suite de la transmission des droits du copropriétaire entrant, certaines obligations naissent à l’égard de la copropriété, gérée et représentée par le syndic, et du notaire instrumentant.
- OBLIGATION D’INFORMATION DU NOTAIRE
(C.civ., art. 3.94, §3)
Le notaire instrumentant est tenu de déclarer au syndic l’identité
des personnes ayant acquis des droits dans l’immeuble en vertu
de l'acte juridique entre vifs translatif ou déclaratif. - CHARGES DE COPROPRIÉTÉ
(C.civ., art. 3.94, §2)
Le sort des charges, entre le copropriétaire entrant et celui sortant, est réglé par la loi.
Deux types de charges s’imposent aux (co-)propriétaires d’un lot.
D’une part, les charges ordinaires, étant affectées aux dépenses régulières de la copropriété, soit pour son entretien, sa gestion, son fonctionnement, etc.
D’autre part, les charges extraordinaires se rapportant, a contrario, à toutes les dépenses non-courantes généralement quelconques (ex : travaux de réparation de toiture). - FONDS DE ROULEMENT VS FONDS DE RÉSERVE
Nous renvoyons ci-avant concernant ces notions.
En ce qui concerne les sommes payées par un copropriétaire pour alimenter le fonds de roulement ou le fonds de réserve, le législateur a prévu un régime particulier dans l’hypothèse où un lot serait transmis (C.civ., art. 3.94, §5).
Les arriérés en copropriété
Mécanisme non-judiciaire « valse à trois temps » (art. 3.95)
Afin de faciliter le recouvrement de sommes restées impayées
par un copropriétaire sortant, le législateur a mis en place
un mécanisme spécifique qui se déroule en dehors d’une
procédure judiciaire en trois étapes impliquant les notaires et
syndics (C.civ., art. 3.95).
- LE TEMPS DE LA RETENUE
Le notaire instrumentant, chargé de recevoir l’acte authentique, a l’obligation de retenir les sommes qu’il est amené à percevoir à cette occasion, et ce afin de solder la créance du copropriétaire sortant.
Il lui importe alors de conserver les sommes reçues, sans pouvoir les libérer au profit de la personne ayant cédé ses droits dans la copropriété (ex : le vendeur). - LE TEMPS DE LA CONTESTATION OU DE LA LIBÉRATION
Le copropriétaire sortant peut s’opposer à la retenue des sommes par le notaire instrumentant, auquel cas ce dernier devra en informer le syndic endéans un délai de trois jours ouvrables qui suivent la passation de l'acte authentique.
A contrario, à défaut d’opposition du copropriétaire sortant, le notaire libérera les sommes retenues au profit de l’association des copropriétaires, en apurement des créances encore ouvertes pour le lot transmis. - LE TEMPS DE LA SAISIE
Au cas où une contestation a été formulée par le copropriétaire sortant, l’association des copropriétaires dispose d’un délai de vingt jours ouvrables qui suivent la date de l'envoi recommandé du Notaire pour exercer une saisie sur les sommes retenues.
A défaut d’action dans ce délai, le notaire pourra libérer les sommes au profit du propriétaire sortant.
Garantie - privilège de la copropriété
Rappelons que le législateur a consacré, au bénéfice de l’association des copropriétaires, un privilège spécial immobilier. L’association des copropriétaires, en tant que créancière, bénéficie ainsi d’une priorité (sous réserve des privilèges de rangs supérieurs) sur le prix de la vente d’un lot en vue d’apurer sa créance de charges de copropriété.
Raphaël INGELS & Julien VAN GILS
Avocats au sein du cabinet DECODE