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Empiètement : la loi est recalée par la Cour Constitutionnelle

Publié le 20 Juin 2025

Le cas de figure est classique : lors de la rénovation de son bien, et afin d’améliorer sa PEB, le propriétaire procède à une isolation par l’extérieur. Le hic est que, ce faisant, il déborde sur le fonds du voisin, même sur quelques centimètres. Quel sort réserver à cette situation? Que dit la loi? La Cour constitutionnelle a chamboulé les règles.

L’ISOLATION PAR L’EXTÉRIEUR


Il est question quasi quotidiennement d’empiétement dans les dossiers immobiliers, en particulier lorsqu’il s’agit d’isoler par l’extérieur une habitation. Le livre 3, qui organise le droit des biens, n’a pas réglé cette question. À ce jour, il n’existe pas de droit d’empiéter, même au titre d’une tolérance justifiée
pour des raisons de performance énergétique. Ainsi, si une disposition du Code civil porte bel et bien sur l’empiètement, celle-ci régit le sort d’un empiétement déjà réalisé et non le droit de déborder chez son voisin. Cette question est abordée à l’article 3.62 du Code civil.


LA BONNE OU LA MAUVAISE FOI


Le sort à réserver à l’égard d’une construction qui empiète sur le fonds voisin dépend de la bonne ou de la mauvaise foi du bâtisseur.

En cas de bonne foi, le texte prévoit que l’empiéteur peut échapper à la demande d’enlèvement formulée par l’empiété s’il démontre que cet enlèvement le léserait de façon disproportionnée. En contrepartie, l’empiété sera en droit d’exiger le rachat de la zone empiétée ou la constitution d’une superficie.

En cas de mauvaise foi, le texte prévoyait que l’empiété pouvait solliciter l’enlèvement « sauf s’il y a ni emprise considérable ni préjudice potentiel » dans son chef. Dans ce cas, l’empiété devait aussi se contenter d’un droit de superficie ou céder l’emprise à l’empiéteur, certes moyennant indemnisation. Le texte offrait donc une porte de sortie à celui qui, délibérément, avait violé le droit de propriété de son voisin.

 

L’ARRÊT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE


Cette hypothèse du bâtisseur de mauvaise foi a été soumise à l’appréciation de la Cour constitutionnelle par voie préjudicielle et, par un arrêt du 25 avril 2024 (49/2024), la Cour a estimé que cette disposition est contraire au droit de propriété.


En substance, la Cour estime que la disposition du Code civil constitue une ingérence dans le droit de propriété et que l’impossibilité pour le voisin empiété de solliciter l’enlèvement lui cause des effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur.


La Cour juge donc cette disposition contraire à l’article 16 de la Constitution et à l’article 1er du Premier protocole additionnel à la CEDH, soit deux dispositions qui consacrent le droit de propriété.


Ce faisant, la Cour rend un arrêt qui consacre, une fois de plus, une protection importante du droit de propriété.


QUE FAIRE AUJOURD’HUI?


Cet arrêt invalide donc cette disposition, sans pouvoir l’annuler. Dans l’attente d’une éventuelle correction législative, que faire? À notre estime, il convient de revenir au droit commun des obligations. Ce sera donc au juge saisi d’une demande de démolition d’apprécier, au cas par cas, si la mauvaise foi de
l’empiéteur le prive de la possibilité de plaider l’abus de droit pour contrecarrer la demande d’enlèvement.


Le droit d’empiéter n’existe pas. La loi organise le sort de l’empiétement réalisé, selon la bonne ou la mauvaise foi du bâtisseur. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle invalide le sort réservé par la loi à l’empiéteur de mauvaise foi. Il convient donc de revenir au droit commun et d’apprécier au cas par cas si celui qui empiète chez son voisin peut encore plaider l’abus de droit, même s’il a construit de mauvaise foi.

 

Vincent Defraiteur
Avocat au barreau de Bruxelles
Assistant en droit des biens à l’ULB
et à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles

 

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