Contestation d'une décision d’assemblée générale : quand le juge sanctionne la passivité du copropriétaire
Publié le 16 Décembre 2025
Dans une décision du 8 février 2024, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rejeté l’action en annulation d’une décision d’assemblée générale, au motif que le copropriétaire aurait dû faire preuve de plus de bonne volonté pour contribuer à une bonne gestion de la copropriété.
À l’origine de cette affaire, nous retrouvons la problématique, bien connue et régulièrement source de tension, de l’accès à la comptabilité, de la communication des comptes ou de la mise à disposition des pièces comptables.
Pour les professionnels que vous êtes, il n’est en rien exceptionnel que de recevoir des demandes de copropriétaires à ce sujet.
C’est dans ce contexte que le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, saisi de l’appel interjeté, a été amené à se prononcer, le 8 février 2024, dans une décision dont le pragmatisme a retenu toute notre attention.
Résumé des faits et de la décision
En l’espèce, une copropriétaire, Mme L. G., avait introduit une action en contestation de décision d’assemblée générale, au motif, notamment, que la convocation ne précisait pas les modalités de consultation des documents comptables avant la réunion.
Par son action, la copropriétaire demandait au tribunal de constater l’irrégularité de la convocation et ainsi de prononcer l’annulation des décisions prises lors de l’assemblée générale.
Cette cause avait fait l’objet d’un examen en première instance, avant d’être portée par la copropriétaire devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, saisi en degré d’appel.
Après avoir entendu les parties, le tribunal a rejeté les prétentions de l’appelante (Mme L. G.).
Le tribunal n’a pas suivi la copropriétaire ; selon lui, rien ne l’empêchait de demander au syndic de consulter les comptes avant l’assemblée.
Il en conclut que l’omission dans la convocation n’a pas eu de conséquence concrète et ne justifie donc pas une annulation. Le juge résume la situation en ces termes : « il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que c'est au syndic qu'il faut s'adresser pour obtenir des renseignements au sujet des comptes ».
Principes juridiques pertinents : mise en perspective de la décision commentée
Si les termes utilisés par le magistrat peuvent paraître vifs, ils s’expliquent vraisemblablement par les antécédents opposant cette copropriétaire et la copropriété.
Le raisonnement du tribunal est quoi qu’il en soit particulièrement intéressant.
Nous profiterons donc de cette décision pour rappeler les règles prévues par le Code civil, d’une part, en matière de contestation d’une décision d’assemblée générale et, d’autre part, sur la question des obligations de communication des documents comptables incombant à tout syndic.
CONTESTATION D’UNE DÉCISION D’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE : LES POINTS CLÉS À RETENIR
Avant toute chose, il convient de rappeler qu’une action en annulation (ou réformation) d’une décision d’assemblée générale émanant d’un copropriétaire n’est recevable (art. 3.92, § 3, C.civ.) que moyennant le respect des conditions suivantes : (1) une décision a été prise, (2) cette même décision cause un préjudice au copropriétaire demandeur et (3) que la contestation repose sur l’un des motifs limitativement déterminés par la loi.
Ces motifs légaux de contestation sont au nombre de trois :
- La décision entachée d’irrégularité, c'est-à-dire celle adoptée en méconnaissance des dispositions, statutaires ou légales, relatives aux assemblées générales.
- La décision ayant été adoptée en raison d’un abus (de majorité ou de minorité, selon le cas).
- La décision viciée par la fraude, soit celle découlant d’une manœuvre trompeuse ou déloyale ayant faussé le consentement d’un ou plusieurs copropriétaires.
Faut-il, enfin, rappeler que cette procédure doit être introduite (4) dans un délai de quatre mois à compter de l’assemblée générale contestée, et ce, sous peine de forclusion ; une fois le délai passé, ladite décision ne pourra plus être remise en cause et est considérée comme définitive.
Cet exposé se limite volontairement à l’essentiel, sans entrer dans les quelques débats juridiques encore ouverts.
Retenez que le législateur a voulu renforcer le cadre juridique permettant de contester une décision d’assemblée générale afin d’éviter les contestations systématiques.
Les copropriétés fonctionnent, à bien des égards, comme de microsociétés : pour qu’elles vivent et fonctionnent sereinement, leurs décisions doivent pouvoir s’appliquer avec stabilité.
LA COMMUNICATION DES DOCUMENTS (COMPTABLES) DE LA COPROPRIÉTÉ
Dans le contexte de la décision commentée, le magistrat, même s’il ne l’indique pas expressément, semble s’appuyer sur l’article 3.89, § 5, 9° du Code civil, lequel prévoit que chaque copropriétaire peut, à tout moment, demander l’accès aux documents de la copropriété selon les modalités prévues par le règlement d’ordre intérieur ou une décision d’assemblée générale.
En effet, même s’il appartient au syndic de veiller à ce que la convocation indique les modalités de consultation des documents relatifs aux points inscrits à l’ordre du jour (art. 3.87, § 3, al. 2, C. civ.), le magistrat a condamné le comportement passif de la copropriétaire, laquelle ne pouvait ignorer que pour consulter la comptabilité, elle pouvait aisément s’adresser au syndic.
En synthèse, le tribunal considère que, puisque Mme L. G. n’a pas pris l’initiative de demander la consultation des pièces comptables, elle ne peut se prévaloir du manque d’information dans la convocation pour fonder son action en annulation.
MISE EN PERSPECTIVE DE LA DÉCISION COMMENTÉE
Le magistrat adopte ici une approche résolument pragmatique, ce qui mérite d’être souligné.
En adoptant cette décision, l’attitude fautivement passive d’une copropriétaire est sanctionnée.
Une solution contraire aurait encouragé les copropriétaires à se cantonner à un rôle de « simples contrôleurs », plutôt que de les inciter à agir en qualité d’acteurs coresponsables de gestion commune.
Il en irait autrement si la copropriétaire, après avoir sollicité en bonne et due forme la consultation des pièces, se heurtait à l’inaction injustifiée du syndic : il disposerait alors, selon nous, d’un intérêt et d’un fondement légitime pour agir et la décision aurait sans doute été différente.
En copropriété comme ailleurs, la bonne foi et la rigueur administrative vont de pair : conseils pratiques à votre attention !
L’essentiel de cette décision repose, à notre estime, sur le comportement attendu des copropriétaires eux-mêmes ; le tribunal les invite ainsi à faire preuve de diligence, de collaboration et de bonne foi dans la gestion commune, comme vous y êtes tenus également.
En effet, cette décision ne peut pas, et surtout ne doit pas, être interprétée comme une forme de tolérance des cours et tribunaux à l’égard de l’exécution des missions légales revenant aux syndics.
Pour éviter de vous retrouver mêlés à une telle situation, gardez donc à l’esprit de :
- Toujours mentionner dans la convocation les « modalités de consultation des documents relatifs aux points inscrits à l'ordre du jour ».
Par exemple, en ajoutant à vos modèles de convocation une phrase type selon laquelle (à préciser selon vos habitudes) :
Les documents relatifs aux différents points inscrits à l’ordre du jour peuvent être consultés dans les bureaux du syndic sur rendez-vous à convenir avec le syndic quelques jours à l’avance. - Garder une trace des demandes et des rendez-vous accordés à ce titre (par simple confirmation par email, par exemple).
- De manière générale, favoriser la transparence : une bonne communication évite bien des contentieux inutiles.
Mot de la fin
Civ. fr. Bruxelles (9e ch.), 8 février 2024, R.G.
n° 21/1864, R.C.D.I., 2025/1, pp. 43-45 (extraits)
« […] il revient à chacun de faire preuve d’un minimum de bonne
volonté pour que la gestion de l’ensemble se passe au mieux […] ».
Article rédigé par Raphaël Ingels et Julien Van Gils - Avocat et avocat associé au sein du cabinet DECODE, et issu de l’Avis du juge du Federiamag n°43 (Décembre 2025)