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Vente d’un bâtiment commercial : résiliation et notification du délai de préavis de trois mois. La Cour de cassation met fin à 73 ans d’incertitude

Publié le 20 Juin 2025

Le point de départ du délai de trois mois laissé à l’acquéreur pour donner congé enfin éclairci.
Après des décennies d’incertitude, la Cour de cassation tranche.

 

ACQUISITION ET CONGÉ : TROIS MOIS POUR AGIR…
MAIS À PARTIR DE QUAND?

 

L’article 12 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciauxencadre de manière rigoureuse et impérative la possibilité pour l’acquéreur d’un bien loué de mettre fin au bail commercial en cours. Cette faculté est subordonnée au respect de conditions strictes, parmi lesquelles la notification d’un préavis d’une durée d’un an, lequel doit être donné «dans les trois mois de l’acquisition».


Si la durée du préavis (un an) ne suscite généralement pas de difficultés particulières, il en va autrement du point de départ du délai de notification. Se pose dès lors la question essentielle de savoir à partir de quel moment précis commence à courir ce délai de trois mois pour notifier le congé.

 

L’ALIÉNATION, UN CONCEPT AUX CONTOURS INCERTAINS

Avant d’examiner les thèses en présence et la solution finalement retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 18 octobre 20242, demandons-nous pourquoi il a été si difficile de déterminer le point de départ de ce délai.


La difficulté tient d’abord à la notion même d’aliénation visée à l’article 12 de la loi, que le législateur ne limite pas à la vente. Sont visées toutes les formes d’aliénation, qu’elles interviennent à titre gratuit ou onéreux, parmi lesquelles figurent, à titre d’exemples, la donation, l’échange, la cession d’usufruit, l’apport en société ou encore l’adjudication publique.


Chaque mode d’aliénation répond à ses propres règles quant au transfert de propriété, à son opposabilité aux tiers et aux formalités instrumentaires et de publicité, ce qui contribue à la complexité de déterminer un point de départ uniforme pour le délai.


À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire liée au fait que, même lorsqu’une aliénation intervient, les effets qu’elle produit peuvent être différés. Le transfert de propriété peut être retardé — notamment en présence d’une condition suspensive — et l’entrée en jouissance du bien par l’acquéreur ne coïncide pas nécessairement avec l’acquisition du droit réel. Ainsi, la notion d’«acquisition», au sens de la loi, se révèle éminemment contextuelle et ne peut être dissociée des effets concrets que l’acte produit dans chaque cas particulier.

 

LES THÈSES EN PRÉSENCE JUSQU’À L’ARRÊT DU
18 OCTOBRE 2024 DE LA COUR DE CASSATION

 

Parmi les nombreuses questions litigieuses en matière de baux commerciaux, celle du point de départ du délai de trois mois accordé à l’acquéreur du bien loué n’a cessé d’alimenter débats et incertitudes. En d’autres termes, à quelle date exacte doit-on situer « l’acquisition» au sens de l’article 12? Alors que les premiers commentateurs de la loi de 1951 situaient le point de départ de ce délai à la transcription de l’acte authentique, cette thèse fut rapidement abandonnée au profit de celle fondée sur la passation de l’acte authentique. À partir de ce revirement, les controverses se sont multipliées. Parmi les principales thèses avancées par la doctrine et la jurisprudence pour déterminer la prise d’effet du délai figurent notamment : celle de la date du compromis de vente, ou encore de l’enregistrement de cet accord; celle de la date à laquelle l’accord acquiert une date certaine, ou encore à compter du jour où le preneur est informé de la vente et de l’identité du nouveau propriétaire.

Plus récemment, une autre approche avait émergé, fondée sur le transfert effectif de propriété, par opposition à un transfert différé en présence d’une condition suspensive.

Cette thèse avait trouvé un appui dans un arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2000, où il avait été jugé que, tant que la condition suspensive n’était pas réalisée, l’acquéreur ne pouvait être considéré comme titulaire d’un droit réel sur le bien, ce qui excluait alors toute prise d’effet du délai de notification du congé. Toutefois, cette position ne pouvait, à elle seule, emporter l’adhésion dès lors que le transfert de propriété ne s’accompagnait pas nécessairement du transfert de la jouissance du bien, si bien que l’idée s’imposait progressivement selon laquelle le délai de trois mois ne prenne cours qu’à compter du jour où le transfert de jouissance est réalisé en faveur de l’acquéreur. Cette analyse, à son tour, se heurtait à une difficulté majeure : le transfert de jouissance ne s’accompagne pas nécessairement du transfert de propriété, alors que la loi vise expressément « l’acquisition». Autrement dit, l’entrée en jouissance ne saurait suffire à faire courir le délai de trois mois prévu par l’article 12, sans qu’un véritable droit réel ait été acquis.

Une thèse plus récente soutenait que le délai commence à courir à partir du moment où l’acquéreur acquiert un droit réel sur le bien, lui conférant aussi la jouissance de celui-ci.

C’est finalement cette dernière orientation qui sera consacrée par la Cour de cassation, écartant ainsi les thèses majoritairement soutenues jusqu’alors. Cette prise de position appelle donc à une lecture prudente des analyses antérieures à l’arrêt du 18 octobre 2024.

LA SOLUTION RETENUE :
DROIT RÉEL ET TRANSFERT DE JOUISSANCE

Le 18 octobre 2024, la Cour de cassation a enfin tranché. Le délai de trois mois pendant lequel l’acquéreur peut mettre fin au bail commercial commence à courir à partir du moment où il acquiert un droit réel sur le bien, lui conférant la jouissance effective de celui-ci. L’acquéreur doit en effet bénéficier de la jouissance du bien, puisque le droit de donner congé ne peut s’exercer qu’en sa qualité de titulaire des droits (et obligations) conférés par le bail commercial.


Le point de départ du délai ne se confond dès lors pas nécessairement avec la date d’un acte déterminé — tel que le compromis de vente, ni même l’acte authentique —, mais dépend des effets juridiques effectivement produits par ces actes, au regard tant du transfert du droit de propriété que de celui de la jouissance du bien.


Une vente avec réserve d’usufruit ne transfère pas la jouissance du bien à l’acquéreur en tant que nu-propriétaire, pas plus que la perception des loyers autorisée lors de la levée d’une option d’achat n’emporte le transfert de propriété lorsqu’il est subordonné à la condition suspensive de la passation de l’acte authentique. La Cour de cassation prend d’ailleurs soin de préciser que le seul fait de se comporter en apparence comme titulaire d’un droit de propriété — par exemple en percevant les loyers — ne suffit pas à faire courir le délai.


La solution désormais consacrée par la Cour de cassation impose une vigilance accrue.


Pour déterminer avec certitude le point de départ du délai de trois mois dont dispose l’acquéreur pour mettre fin au bail commercial, il convient de s’assurer qu’il a effectivement acquis un droit réel sur le bien, impliquant à la fois un transfert — ou constitution — d’un droit de propriété et celui de la jouissance effective des droits et obligations résultant du bail commercial (telle la perception des loyers).


Ni la signature du compromis, ni l’encaissement anticipé des loyers, ni l’information du locataire ne suffisent : si le transfert de propriété ou celui du droit de jouissance est différé, le délai ne prend pas cours.

 

CONSEIL

Avant de notifier le congé mettant fin au bail commercial, l’acquéreur doit veiller à être titulaire d’un droit réel de propriété sur le bien et à en détenir la jouissance effective. Il ne suffit pas d’avoir acquis la jouissance, par exemple par l’encaissement des loyers, si le transfert de propriété est différé — et inversement.

 

Le délai de trois mois visé à l’article 12 de la loi sur les baux commerciaux étant impératif, tout congé notifié avant son point de départ ou après son expiration est entaché d’irrégularité et irrémédiablement privé d’effet.

Le locataire commercial, quant à lui, peut légitimement demander à consulter l’acte d’acquisition, afin d’apprécier les effets juridiques qu’il produit, notamment en ce qui concerne le transfert effectif de propriété et de jouissance. Encore faut-il, pour être opposable, que cet acte revête une date certaine.

 

1 Cette disposition précise : «Lors même que le bail réserverait la faculté d’expulsion en cas d’aliénation, l’acquéreur à titre gratuit ou onéreux du bien loué ne peut expulser le preneur que dans les cas énoncés aux 1°, 2°, 3° et 4° de l’article 16, moyennant un préavis d’un an donné dans les trois mois de l’acquisition et énonçant clairement le motif justifiant le congé, le tout à peine de déchéance. Il en va de même lorsque le bail n’a pas date certaine antérieure à l’aliénation, si le preneur occupe le bien loué depuis six mois au moins.»


2 N° C.23.0486.N

 

Dominique Janssen
Avocat au barreau de Bruxelles
Spécialiste en droit du bail commercial

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